dimanche 1 mai 2011

Isaac Bashevis Singer/Bob Dylan, une histoire d’amour

Quel rapport entre Isaac Bashevis Singer et Bob Dylan? Le premier a eu le prix Nobel, le second a failli l’avoir, c’est ça ? Ah non, pas du tout. C’est plus simple et plus tordu à la fois. Disons qu’ils occupent ma tête à plein temps, et en même temps. Il n’y a de place pour rien d’autre. Je lis et relis les nouvelles de Singer, surtout celles qui se passent au lendemain de la guerre dans les cafeterias des quartiers juifs de New York, où on ne parle que le yiddish, un invraisemblable yiddish mélangé de polonais et d’américain; en même temps, je ne cesse d’écouter et de réécouter les fabuleux concerts piratés de Dylan, surtout ceux de l’année 2000, merveilles inaccessibles dont la seule clé d’entrée sur youtube s’appelle aujourd’hui hollis1960 (dépechez vous d’aller y voir avant que le web sheriff de Sony/youtube en interdise l’accès, ce qui ne saurait tarder …). Pour le moment, il m’est impossible de penser à Dylan sans penser à Singer, ou de lire Singer sans entendre l’impossible voix nasale de Dylan.
Savoir que Dylan est né juif dans un patelin perdu des montagnes du Minnesota ne me sert pas à grand chose. Outre qu’il n’a pas eu d’éducation religieuse, il s’est publiquement converti au christianisme, et a même été chanter pour le pape, ce qui ferait ricaner Isaac Singer, qui se moque souvent dans ses textes des juifs polonais convertis, mais ni l’époque, ni le pays (la Pologne sous les nazis) n’ont grand chose à voir avec l’Amérique d’aujourd’hui. Je pourrais ne pas finir mon histoire et me contenter de penser qu’ils m’occupent la tête en même temps, un point c’est tout. Mais ce n’est pas suffisant pour l’obsessionnel que je suis. Il doit bien y avoir autre chose. En lisant encore, en écoutant davantage, je crois que j’ai trouvé : dans la musique des mots d’Isaac Bashevis Singer, dans celle du converti Dylan, quelque chose d’identique passe quand même. Pour Singer, c’est évident, c’est la mixture du yiddish et de l’anglais qui a une magie simple et pittoresque à la fois, un truc que n’importe qui peut comprendre. A écouter le Dylan de 2000, surtout celui du concert du 25 septembre à Portsmouth, on est bien obligé de constater que ce sont des larmes juives qui sortent de sa bouche. Des hoquets, des gémissements, des frémissements. Allez directement écouter sa version de Frankie Lee and Judas Priest de Portsmouth, on dirait qu’un diable, un lutin (un dibbuk, dans la langue de Singer) a pris possession de son corps.
frankie lee and judas priest (portsmouth, 25 septembre 2000)
PS. Si ces histoires juives un peu tarabiscotées vous passent par dessus la tête, et si vous préférez les histoires de crooners, de vrais crooners, procurez vous au plus vite New in Town/Glad to be There (GAMBIT/distribution Socadisc), qui réunit en un seul cd les deux somptueux albums qu’Ed Townsend a enregistré en 1960 avec l’un des meilleurs arrangeurs de Sinatra, Nelson Riddle. Tout y est, cordes, volupté, économie, standards susurrés …. Sans oublier l’essentiel: une voix à faire chavirer les filles, ou les garçons qui n’ont pas perdu leur cœur de fille. Un détail, qui compte : Ed Townsend était noir.

2 commentaires:

say hello! a dit…

Telle une spirale (le Maelström d'E. Poe), l'oeuvre de Dylan nous fait parfois revenir, si nous la "travaillons" avec persévérance, en certains lieux déjà parcourus mais soudain stimulés par un sens nouveau. Nous nous livrons à cette fascination le temps de revitaliser ce qui en nous s'était émoussé par paresse, langueur, dépit... Puis ne pouvons qu'adresser un salut respectueux et complice au trapéziste Dylan de toujours et encore nous confronter au choc salubre des premières fois. Même si nous n'avons pas besoin de météorologue pour savoir d'où vient le vent, ce qui agit là comme un épisode de centralité psychotique (Nietsche) ou cognitif (Henri Grivois). J'espère que ces graines ont été semées dans quelques esprits en Chine lors du concert si décrié. Ecouter à ce propos "Frontières" du 26/04 d'Alexis Ipatostev sur France Culture, qui revient dans sa chronique sur cette agaçante le sempiternel Dylan "icône de la contestation" qui se serait couché devant le pouvoir chinois. Dylan a été tellement plus subversif depuis! Tenez, c'est un peu comme ce que disait A. Ginsberg à propos de Nashville Skyline. On s'était offusqué de voir Dylan fouler le sol du KKK alors que c'est lui qui prenait en otage la country redneck... Forever young!
Merci cher Club S

Cineklectic2 a dit…

Hommage

Ne sachant pas à quelle adresse vous écrire, je me permets de pervertir la fonction de ce commentaire pour vous dire à quel point vos goûts et votre style ont une influence sur mon écriture. Certains ont pour référence des écrivains de renom, moi j'ai Daney,Biette,Mourlet et Skorecki et ça vaut bien tous ces écrivains.

Voici donc un petit article sous influence. Enfin, je l'espère
http://cineklectic2.blogspot.com/2011/04/normal-0-21-false-false-false-fr-x-none.html

De plus, j'aimerais vous interviewer mais se pose toujours le même problème : une adresse

Bien à vous


" invraisemblable ou pas, crois-moi, c'est la vérité -et il n'y en a pas deux ..."