VANNIER (VIE HEROIQUE)
Ironique qu’au moment où tant d’images de Gainsbourg nous submergent, au risque de la nausée, il n’existe presque aucune photo, et aucune vidéo en tout cas, de celui qui fût son double le plus créatif, Jean-Claude Vannier. Arrangeur de Melody Nelson et de tant d’autres succès baroques et ouatés, Vannier a aussi été un compositeur raffiné, un chanteur personnel et délicat, dont on hésite à parler au passé, puiqu’il est bel et bien vivant (il a même publié en 2005 un très joli double album, passé inaperçu, composé de deux CD : En public, relecture avec profusion de cordes de quelques unes de ses chansons les plus connues ; et Fait à la maison, recueil bricolé d’adorables nouvelles mélodies-comptines).
Le problème, c’est que celui qui fit tellement pour le succès international de Gainsbourg, n’est plus représenté depuis dix ans que par des musiques de films et des œuvres orchestrales, jusqu’à la nausée. Même si certains de ces films sont très beaux (ceux de Philippe Garrel), où sont passées ces chansons sentimentales pour piano-bar, un rien alcoolisées, un rien cyniques, qui s’étalent sur six ou sept albums d’un dandy très attachant? Les a-t-il lui-même retirés du commerce, ou ces disques sont-ils passés au pilon ? Qui sait encore aujourd’hui que la chanson qui a fait connaître Michel Jonasz, Supernana, était dans sa VO susurrée par un Vannier de l’ombre, à mille lieues du pathos slave de Jonasz ? Quand on ajoutera que ce mélodiste a souvent fait davantage que simplement arranger les disques sur lesquels il travaillait (Barbara, Gréco, Birkin, Bécaud, Dalida, Nougaro, Polnareff, Bashung, Françoise Hardy, Brigitte Fontaine, France Gall, Claude François, Julien Clerc …), et qu’on a souvent dit qu’il était pour beaucoup dans la composition de chansons signées par d’autres, Melody Nelson en particulier, on en saura un peu plus, mais bizarrement encore moins, sur le très étrange monsieur Vannier, dont la vie héroïque continue de se dérouler très énigmatiquement devant nos yeux (j’ai posté sur youtube et sur mon blog, à titre de documentation, six ou sept de ses très jolies chansons tristes).
Pour épaissir un peu le mythe Vannier, s’attarder sur deux aspects de sa vie : d’abord les ressemblances entre son univers et celui de Gainsbourg, une sorte d’ambiance désaccordée, entre piano-bar et réminiscences d’enfance amère ; et puis cet épisode inattendu de sa vie, qu’il raconte lui-même quelque part : « Je fus condamné « aux arabes », à l’époque où ce n’était pas réellement valorisant (la guerre d’Algérie venait juste de finir) mais moi, j’étais ravi, car j’adorais cette musique. Avec en poche un contrat de danseuse que je n’avais pas lu, griffonné en hâte à la fin d’une séance d’enregistrement, j’ai embarqué pour Alger, pour débuter à l’hôtel Aletty, comme pianiste, à 18 ans. Autodidacte, j’ai abordé la composition avec les musiciens de l’opéra d’Alger, puis en écrivant pour Michel Magne et Alice Dona, puisant mes premiers rudiments d’orchestration dans les "you you" de la Casbah et les manuels de la collection Que sais-je?» Avouez que ça vous donne envie d’écouter chanter Vannier. Au fait, il a 66 ans.
(à paraître dans ROLLING STONE)
jean claude vannier/le coeur qui penche (2005)
10 commentaires:
Merci pour « le cœur qui penche . J’aime aussi beaucoup Supernana (en vo), il y a une autre belle chanson de Vannier sur le deuxième album de Jonasz : « les Ricochets » un peu gâchée dans sa version pathos slave mais malgré tout assez bien quand même... Il se murmure ici ou là que Vannier pourrait être un Randy Newman français. Je ne sais pas si la comparaison est très pertinente : Vannier est quand même plus sentimental, moins sarcastique... bon il y a un piano chez les deux, c'est certain...
non, pas randy newman ... un des héritiers possibles de vian, via l'angleterre et le dandysme gainsbourgien peut-être ..
un boris vian anglo/arabisant complexé, dîtes plutôt van dyke parks si vous tenez à la référence américaine ....
http://www.youtube.com/watch?v=6klBuzkfjFc
ça dit tout du bonhomme...
pour Ramblin man (d'Hank Williams et non de Merle Haggard comme je le croyais) écoutez plutôt cette version (je l'écoute en boucle depuis des semaines au grand désespoir de mon entourage proche...) :
http://www.youtube.com/watch?v=1gIXYyF7cLw
"vaut mieux rien avoir que tout perdre,
je suis allergique à l'air du temps"
oui, ce sont deux jolies phrases chantées, deux bouts rimés du délicat vannier ... merci d'être à l'écoute
hypnotique hank williams (the original rocker) entre falsetto et yodel, dans l'une de ses chansons les plus connues, les plus magiques
A l'écoute, mais avec sept trains de retard (pour ne pas dire plus)... Vous savez quoi ? Dieu n'aurait jamais fait de moi un ramblin man.
De Syd à Jean-Claude en passant par Brigitte de Latour de Caron, j'ai passé des moments sublimes à papillonner sur la liste "youtube" d'un certain jl noames. A propos de Vannier (que je découvre vraiment depuis peu et que j'aime de plus en plus), voici le petit texte d'introduction de son CD "Fait maison" (vous allez voir, c'est presque aussi beau que du Louis S.) :
"Dans une ambiance sinistré de labels en capilotade, de contrats déchirés, de productions naufragées et de disques au pilon, égaré dans une jungle urbaine peuplée de terribles pirates de têtes de gondole et de tigres méchants, j'ai bricolé quelques chansons de temps de guerre, des chansons-guenilles, mes préférées, mes pestiférées. Maquettes brutes, jamais finies,enregistrées à la maison avec mes bouts de ficelle, mes pipeaux de la maternelle, mes jouets musicaux, ma guitare du temps des terrasses de café, harmonium désaffecté, grosse caisse d'harmonie municipale, crécelles pédagogiques, poêles à frire, métalophone (comme la plupart des chefs d'orchestre, je joue assez mal de beaucoup d'instruments). Et puis mon vieux camarade, Monsieur mon Piano, témoin patient de mes à -peu-près harmoniques, mes modulations à la va-vite, mon goût pour les fausses notes, mais aussi complice de mes brefs moments de lumière. Les seules certitudes qui me restent aujourd'hui étant la distance Paris-Honfleur et la cuisson des pâtes à l'eau, il me semble que ces chansons sont le reflet de ma vie de promeneur d'occasion (je ne dirais pas professionnelle puisque je n'ai jamais eu le sentiment d'appartenir à aucune profession), de mon existence précaire d'organisme mutant dans un environnement hostile, une manière d'actualiser mes conneries, lambeaux de ces nuits bâclées et de ces journées qui ne veulent pas de moi. J'aimerais que mes chansons soient un peu comme des cendriers que les gens volent dans les palaces, des aquarelles de voyage, des cailloux au fond des poches, objets de brocante qui ne servent à rein mais dont on a terriblement besoin."
Enregistrer un commentaire