J'ai bien peur qu'Hitchcock ne serve à rien aujourd'hui. Disons que c’est un nom de code pour décorateurs. Par décorateurs, j'entend l'ensemble des gens de cinéma, réalisateurs, scénaristes, critiques, qui ne se servent de ce nom que comme marqueur, un truc pour convaincre plus vite spectateurs, producteurs, lecteurs. En vérité c'est comme ça depuis 1955, l'année où Hitchcock déserte le cinéma avec armes et bagages pour la télévision. Cette année là, il commence à produire des miniatures noir et blanc, sous un titre frimeur, Alfred Hitchcock présente, en utilisant sa silhouette (qui n'est pas encore célèbre, mais qui deviendra sa marque de fabrique) pour présenter des films. Il fait son propre attaché de presse, au moment où la profession n'existe pas encore, pour inciter le maximum de spectateurs à rester devant leur télé.
Dès 1955, alors qu'il est loin d'être considéré comme cinéaste, et encore moins auteur, on accuse Hitchcock de trahison. Ce sentiment d’incompréhension est encore plus répandu aujourd'hui, malgré l’ahurissante vogue des séries télé. On fait un contresens auteuriste quand on réédite les Hitchcock présente en n’incluant que les épisodes qu’il a réalisés (pas forcément les meilleurs). Ces miniatures minimalistes doivent autant à la radio, à la nouvelle, qu’au cinéma, qu’elles réinventent de manière radicale. Au moment où des intégrales boursouflées de la moindre série à la mode envahissent le marché, personne n’a encore compris l’intérêt d’une intégrale des Hitchcock présente, qui inclurait évidemment ceux qu’il n’a pas réalisés. Définitivement schizo, ce qui n’aide pas à le comprendre, Hitchcock réalisera d’un côté des chefs d’œuvre de post cinéma comme Vertigo, tout en produisant ces épures minimalistes en noir et blanc sur lesquelles personne ne s’est encore vraiment attardé. Comment critiquer la perfection froide qui s'est saisie du "7ème art" entre 1955 et 1959, si on n’est guidé que par une politique des auteurs myope ? A y réfléchir de plus près (ou de plus loin, c'est à dire un peu moins passionnément), les classiques en prennent un coup, à commencer par ceux d’Hitchcock lui-même: les films tardifs du maître (North by Northwest, Marnie, les Oiseaux), surlignés et surproduits, sont loin d’avoir le génie et la légèreté des 39 marches. Pareil pour Hawks ou Ford : Rio Bravo n'est pas le plus beau des westerns comme on l’a longtemps pensé mais une simple variation distanciée, surlignée elle aussi, sur le travestissement, une sorte de minstrel movie. Il en va de même pour la Prisonnière du désert, exemple parfait de postcinéma, que Ford lui-même considérait au moment de sa sortie comme un mauvais film. Il changera d'avis plus tard pour faire plaisir à ses admirateurs. C'est plus fréquent qu'on ne pense.
Les super techniciens de cinéma (Scorsese aux Etats Unis, Pialat en France, et leur descendance) ont remplacé depuis longtemps l'acte de créer par l'acte de recréer. Au moment des premiers Scorsese ou des premiers Pialat, on a pu ne pas voir que le premier remplaçait l'inspiration par la virtuosité d'expression (la vitesse devant masquer l'absence d'âme ou de personnages), et que le second n'était qu'un ersatz de Renoir, cherchant à produire en direct l'accident qui provoque la grâce. Il devrait être plus facile de voir aujourd'hui, par exemple à travers la faveur extravagante dont jouit Mad Men, qu'un produit de télévision bien fabriqué, dont toute l'énergie consiste à 99% à recréer d'Hitchcock ce qu'il y a de plus superficiel (éclairages, cadrages, postures) comment le faux Hitchcock (dénué de toute posture morale, évidemment) a définitivement remplacé le vrai. Je ne vois que Brisseau, totalement isolé dans le monde des images et des fabricants d'images, à savoir encore recréer l'ensemble du processus hitchcockien, identification avec les personnages compris. Mais lui, c’est un OVNI. On peut dire qu’il est à lui seul le cinéma. Ou ce qu'il en reste.
louis skorecki (les inrockuptibles, 19/01/11)
le protecteur/the guardian (2001-2004), ma série favorite, avec simon baker, tous les jours sur jimmy (17h) ... ce qui se fait de plus proche des feuilletons/mélo de david e.kelley (practice, ally mcbeal, boston public, boston justice)
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