L’ambiance. Il me reste deux ou trois amis, pas plus, à Libé. Les autres sont morts (Serge Daney, Michel Cressole) ou partis (Nidam Abdi, Daniel Licht, Jean-Luc Allouche, Emmanuel Poncet …). Je ne veux pas dire par là que rester à Libé, c’est se mettre sur une position idéologique avec laquelle je serais forcément en désaccord, c’est juste un titre de presse, déboussolé, sans énergie, fatigué tout autant par la mollesse de sa direction que par le manque d’enthousiasme de ses journalistes. Disons que c’est la lâcheté ambiante qui m’a fait partir, pas l’absence d’amis dans la maison.
Si je raconte tout ça (qui n’intéresse peut-être pas grand monde) c’est pour témoigner à la première personne du peu de cas qui est fait de la vie d’une de ses journalistes, Florence Cousin, qu’on tente de déstabiliser et de renvoyer brutalement du journal où elle travaille depuis plus de vingt ans, avec deux mois de salaire pour tout dédommagement, sous prétexte qu’elle serait "incompétente". On aurait pu s’en rendre compte plus tôt. Florence Cousin est actuellement secrétaire de rédaction à Libération, elle y a occupé sept ou huit postes différents par le passé. Elle sort d’une longue et grave maladie. Elle a entamé depuis mardi 10 février, dans le hall du journal, une grève de la faim.
Faut-il mourir pour son journal ? Faut-il mourir pour Libération?
Florence cousin fait partie du petit peuple de Libé, les obscurs, les faibles, ceux dont on ne remarque l'absence qu'une fois qu'ils sont partis pour de bon. C'est l'une de ces deux ou trois personnes dont je disais en ouverture de ce texte que ce sont encore pour moi "des amis". Sans doute pour cette raison aussi peut-on penser que je ne suis pas le mieux placé pour la défendre. Doit-on se taire pour autant quand un ami souffre, quand il souffre injustement? Doit-on se taire quand ces souffrances, on les partage, on les comprend un peu, on les a un peu soi-même vécues (j'ai été viré manu militari de Libé, un mois avant ma date officielle de départ volontaire, avec une violence et un sadisme rares)? C'est pourquoi j'ai décidé, même si je ne suis pas la personne la mieux placée pour parler du peu de cas qui est fait de la vie de Florence Cousin, de parler quand même. Avec des mots peut-être excessifs, excusez-moi, ce sont les miens, je n'en ai pas tant que ça. Ecrire pendant quarante ans aux Cahiers du cinéma ou à Libé vous donne un peu de vocabulaire, mais pas ce vocabulaire là. Que Libération se mette ou non en grève -pour protester du peu de cas qui est fait du sort de l'une de ses employées, mais aussi et surtout pour s'indigner légitimement de certaines nouvelles inégalités salariales, insupportables en temps de crise- ne me regarde pas. Je prie juste pour la vie de Florence. Elle en sera jeudi à sa dixième journée de grève de la faim. Elle est digne, courageuse. Mais la lassitude profonde, la fatigue réelle, se font évidemment sentir. Un peu de décence, un peu de justice, un peu de compassion, un peu de pitié, messieurs de Libé, serait tout à votre honneur. J'ai la faiblesse de n'attendre rien d'autre de vous.
6 commentaires:
Il faudra bien qu'un jour, le cynisme, le manque de respect,de considération, de reconnaissance pètent à la gueule de ceux qui les pratiquent. En attendant, c'est l'écoeurement et le dégoût qui prédominent. Mourir pour un journal ? No way ! Si nous, qui vous suivons, pouvons faire quelque chose à notre petit niveau. Let us know !
Louis, c'est vrai et triste, mais....
http://www.youtube.com/watch?v=4vj1uKIuUkI
je ne sais pas, pierrino, ce texte a été écrit vite, trop vite, c'est au départ un texte d'intervention destiné à remuer les choses, les gens, peut-être à être publié dans un grand journal, ce qui n'est pas le cas pour le moment (il faut des contacts, etc ...)
je vous dirais si la situation dramatique de florence évolue, merci de votre soutien ...
"Rien ne m'a plus donné un absolu mépris du succès que de considérer à quel prix on l'obtient" (Flaubert)
STRATEGIE ?
Attendre de la pitié ou de la compassion, de quiconque, mais plus encore de Libé (et cela de 1973 à nos jours), c'est pas une bonne idée, quand c'est la guerre.
L'amour, quelle que soit sa forme, il vient de surcroît, et pas sur les champs de bataille.
C'est tout le problème de la grève de la faim, et des dérives de son image, chez les spectateurs lambda formés par le capital.
Bobby Sands et ses camarades ne demandaient pas la pitié. Et d'ailleurs ils ne l'ont pas eue.
Mais ils n'avaient plus que leurs corps nus et désarmés, pour combattre, et pas seulement pour eux-mêmes, mais pour une cause.
Que Florence Cousin l'ait voulu ou non au début, elle mène désormais, parce que d'autres l'ont rejointe, un combat pour une cause : la révélation de la corruption.
Elle fait le même travail de visibilité, seule avec son corps désarmé, que la crise sur tout le système.
Soyons solidaires de son corps (physique devenu social), nous qui avons encore d'autres armes.
al.daguerre
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